ASSOCIATION BENJAMIN FONDANE

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GLB: Vous êtes vous-même, à l’instar de Benjamin Fondane, poète, écrivain, critique et vous venez d'adapter pour le théâtre le poème « L’Exode »de Fondane, qui a eu un vif succès lors de sa représentation au dernier festival d'Avignon. Pouvez-vous nous dire en quoi cette figure vous a influencé et ce qu’elle représente dans votre cheminement personnel ?

OSF: Les affinités électives que l’on a pour une œuvre se révèlent peu à peu. Elles éclairent, toujours imparfaitement, pourquoi on se plaît à fréquenter une œuvre, à la faire connaître, à la revitaliser, et inversement à se recharger d’énergie et de liberté auprès d’elle. J’ai écrit pour la revue Agone un essai publié en 1992 sur Fondane sans penser que celui-ci occuperait si longtemps mon attention. Je m’étais plongé dans les archives de Jean Ballard, redécouvrant un philosophe poète dont on ne parlait  presque plus. J’avais lu à ce moment toute la correspondance Ballard-Fondane, publiée depuis, et cette voix ardente m’avait touché par sa force de présence, par cette vitalité ardente et révoltée qui était la sienne. Cette soif d’infini, cette révolte avait été traquée, prise dans le filet des mesures antisémites de Vichy ; le poète avait été déporté, assassiné à Auschwitz. Il y a avait aussi là une urgence, une justice à faire valoir. Quand aux influences sur mes propres livres, il m’est difficile de vous répondre car elles agissent dans le secret. Sans doute, mon livre de récits Un Chant dans la nuit, publié lui aussi par Réginald Gaillard, qui dirige les éditions de Corlevour, se nourrit aussi d’une fascination pour des situations où notre humanité contradictoire vit de fragiles extases, de désespoirs et de passions baroques ou burlesques. Chaque être porte en lui une rivière souterraine où brillent à la fois des étincelles de beauté, des lambeaux d’espoir et des blessures inguérissables. C’est ce jeu entre le fini et l’infini, comme le dit Kierkegaard, qui compose notre humanité la plus profonde et cela, vous le retrouverez peut-être dans ce dernier livre.
Cette année, vous le rappelez à propos, Yves Sauton a monté un spectacle à partir de mon adaptation de L’Exode de Fondane. Il a livré une mise en scène très rythmée, avec des voix contrastées. La flûte traversière de Jean Cohen Solal, qui a jadis travaillé avec Jacques Rivette, véritable maître de l’esprit et du vent, a trouvé son plein accord avec le poème : modulée, tantôt surgissant des ténèbres, tantôt lumineuse et aérienne, elle accompagne, met en relief les voix et laisse vivre pleinement des silences. Le visage du musicien, comme un oiseau nocturne observant la scène, était lui-même un pôle magnétique. Je me suis réjouis de ces choix scéniques car cette musique, fluide comme le temps, répondait parfaitement à la métaphore du fleuve qui porte le poème. L’occupation de l’espace scénique est elle aussi très modulée : danses, prostrations des corps, rencontres avec les marionnettes, immobilité hiératique puis vitesse des déplacements. Les actrices Geneviève Mancino et Manuelle Molinas s'inscrivent dans cette gestuelle dramatique avec expressivité et complicité. Elles ont été habitées par l’intensité dramatique de leurs rôles. Yves Sauton comédien nous a donné un registre plus intime, en lequel je retrouve la détermination chuchotée, implacable, farouche d'un poète traqué puis assassiné à Auschwitz. Le jeu avec les marionnettes est une heureuse trouvaille car le coeur de l’œuvre fondanienne réside dans une méditation sur le « mal des fantômes », c'est-à-dire sur la déshumanisation des individus, transformés en fantômes de l’histoire : anonymat, oubli, mépris les ont refoulés et condamnés à n'être plus que des ombres ou des souvenirs d'eux-mêmes. Il fallait trouver une expression purement théâtrale à cette pensée abstraite, et elle fut trouvée dans ce dialogue scénique du personnage avec une marionnette surgissant d'un voile et disparaissant aussitôt dans le néant. Tout cela fait de la mise en scène un pari gagné et j’ai hâte que ce spectacle continue à tourner en France ou à l’étranger. « L’Exode » est un poème qui fut écrit de 1934 à 1942 par Benjamin Fondane ; il constitue un cri d'exil à la fois métaphysique et historique. Le poète interroge l’errance infinie du peuple juif, et le désastre historique, mais au-delà, l’errance existentielle de tous les hommes, dans un siècle marqué par la mort de Dieu. Cette progression évolue en spirale, d’une voix qui surgit de l’indistinct originel vers l’histoire biblique, puis vers le présent historique d'un poète juif traqué affrontant, criant, interrogeant, témoignant, avec toute la richesse du texte poétique. La sortie d’Egypte, l’exode babylonien, l’exode des français de 1940 se fondent pour constituer un question brûlante : l’histoire se répète, les fuites, les départs, les déracinements se superposent, et le poète interroge son chant même : comment chanter sur la terre devenue étrangère ? Comment chanter dans la violence de l’histoire ? C’est une question encore brûlante aujourd’hui. La célèbre "Préface en prose" qui achève la pièce éclaire rétrospectivement son sens : l’attestation d'un visage d'homme dans une période de persécution et de déshumanisation. Tout cela pouvait, je crois, interpeller avec force le spectateur dans son humanité, dans sa fragilité.

 
 
 



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