Fondane à l'exposition hallucinations conscientes - par Olivier Salazar-Ferrer
Le Deutsches Filmmuseum de Francfort vient de clore le 2 novembre son exposition 'Bewussten Halluzinationen': Hallucinations conscientes avec une projection du film de Rapt (1934) que j'ai présenté dans une séance de clôture qui se tenait dans un auditorium entièrement rouge. Situé sur l'une des rives paisibles du Mein, le vieux bâtiment du Deutsches Filmmuseum, avec ses colonnes et ses frontons helléniques, a intégré un modernisme qui peut rivaliser avec celui d'autres musées interbationaux tels que le Barbican à Londres qui avait organisé (avec la participation de Ramona Fotiade) une exposition très remarquée sur le surréalisme 'The Surreal House'
The surreal House à laquelle nous avions été également invités en 2010 à l'époque et avec l'exposition La subversion des images (
La Subversion des images) visible au Centre Georges Pompidou en 2010. Si nous comparons avec celles-ci, l'ampleur de l'exposition de Francfort organisée par Stefanie Plappert, centrée sur les arts visuels, en particulier sur la photographie et le cinéma surréaliste, est conçue de façon fort intelligente. Elle est rendue exceptionnelle par les documents exposés. L'espace a été pensé et construit pour rendre possible une flânerie onirique du visiteur très largement occupée par le surréalisme historique, ses marges internationales et certains de ses dissidents de ses débuts jusqu'en 1940. L'ensemble était remarquable et hypnotique. Dans un espace noir occupé par une volée de chapeaux melons magritiens sur lesquels les noms des coupables étaient inscrits (dont celui de Fondane), des projections spectrales et magiques, des vitrines et des cordes à linge luminescentes soutenant des photographies et dans les vitrines de nombreux manuscrits, montages, collages issus du groupe surréaliste, mais aussi de ses représentants ou dissidents belges, hollandais, tchèques et même japonais. On est ému de reconnaître les écritures appliquées de paul Eluard ou de Breton. La charge de questionnement ou de perturbation des oeuvres est souvent restée intacte, et la présence silencieuse de Fantomas de Feuillade dans un espace d'écrans constitués de voiles transparents rappelait la fascination pour cette culture populaire que Rimbaud avait su, avant tous, désigner comme une source inépuisable de la véritable poésie.
Le programme de films étalés sur plusieurs mois a permis de redécouvrir des oeuvres classiques de Bunuel, d'Arabal, de Jodorowski, d'Henry Hathaway, Des documents exceptionnels, pour la plupart originaux, dont le manuscrit du second manifeste du surréalisme, étaient présentés. Fondane était représenté avec quelques documents, notamment des photographies jamais exposées issues du film Tararira et une lettre originale de Dimitri Kirsanoff à Fondane prêtée par Michel Carassou (reproduite dans Ecrits pour le cinéma, 2007). On pouvait y voir la photographie de Fondane à la double tête de Man Ray (un cliché légèrement rayé qui présente l'intérêt d'être exposé dans son authenticité brute). Une première page de la revue Intégral et un numéro original de la revue 75 HP arrêtent le visiteur et rappellent que nombre de thématiques reprises par les surréalistes étaient bien vivantes dans les cercles des avant-gardes roumaines, hongroises, russes, tchèques etc. C'est un des mérites de cette exposition que d'avoir souligné la dimension européenne et même mondiale du tremblement de terre des avant-gardes des années 20 et 30. Je dois dire que j'ai été particulièrement touché par une vitrine consacrée au surréalisme britannique contenant une lettre de David Gascoyne, ami de Fondane...
Le film Rapt était présenté (dans une superbe copie restaurée 35 milimètres) en hommage à Benjamin Fondane bien qu'étant fort éloigné de l'esprit du surréalisme. Une des dernières projections de Rapt sur grand écran était celle qui avait été organisée par la Cinémathèque française à Paris avec moi-même et Ramona Fotiade qui l'avions présenté à un public où s'était rassemblée toute l'équipe des Cahiers du cinéma !
A Francfort, après la séance, les discussions avec un public jeune et sympathique ont évoqué la place du cinéma muet dans les avant-gardes cinématographiques et les écrits de Fondane en ce qui concerne le dépassement du parlant vers un nouveau cinéma 'sonore' qui anticiperait sur une image-son toute moderne, celle de Duras et de Godard. Cette rencontre a été l'occasion d'évoquer l'oeuvre d'avant-garde trop oubliée de Dimitri Kirsanoff et de ses premiers films d'avant-garde qui ont été largement négligés (Brumes d'automne ou Ménilmontant, mais aussi plusieurs films introuvables). Il est à souhaiter que l'on consacre à cette oeuvre davantage d'oeuvres et de recherches aujourd'hui, puisque Rapt utilise des techniques qui sont des échos à l'histoire du cinéma muet et de ses possibilités 'expressionnistes', en les combinant avec les ressources du son et de la musique. L'épisode de la tempête avec les montages sonores de Hoérée et Honneger à cet égard est un chef-d'oeuvre qui n'a presque jamais été remarqué par les historiens du cinéma.
Olivier Salazar-Ferrer
http://surrealismus-sommer-2014.de/programm-2/
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